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A vrai dire, le héros principal, Horace Caillebette, vendeur au rayon d’ameublement d'un grand magasin, ne devrait pas avoir d’histoire. Employé ponctuel et modèle, époux affectueux et fidèle, par ailleurs, ce qui a son prix pour la tendre Lise, il souhaiterait seulement un peu plus d’aisance. Cela serait en harmonie avec ses goûts de petit bourgeois rangé.
Le voilà lancé au milieu d’abracadabrantes aventures qui s’acharnent d'autant plus sur ce garçon placide qu’il se détourne loyalement de leurs ahurissantes variantes. Au premier tableau, nous le voyons, parmi de fringantes acheteuses, d’abord monté en épingle par son chef de rayon, puis, sans transition, mis à pied, pour avoir, en plein magasin, conté fleurette à sa propre femme au lieu d’annoncer les habituels débits.
Tendre cour qui se poursuit entre les amoureux, dans leur appartement, habité par la mère de Lise et par Justin, le père d’Horace, personnes d'âge et d’expérience que la vie commune condamne à d'interminables disputes. Une mystérieuse messagère livre une magnifique corbeille de fleurs. Sans nul doute, elles sont destinées à la ravissante Lise. C’est ce que pense Horace dont la susceptibilité masculine sent déjà poindre sur le front d’inquiétants attributs. L'événement est encore plus surprenant.
Les corbeilles de fleurs, habituel apanage des femmes, sont, cette fois, offertes à Horace lui-même, par une admiratrice, la belle Australienne Victoria, multimilliardaire trois fois divorcée, qui est follement éprise du gentil vendeur et compte bien, grâce au prestige de ses bank-notes, devenir son épouse légitime. La proposition transmise par « l'ambassadeur » à tout faire de cette amoureuse fantaisiste est examinée par le conseil de famille réuni d’urgence.
Justin, le père, qui flaire la bonne affaire ainsi que l’amélioration d'un train de vie médiocre, voudrait que son fils jetât aux orties la défroque des principes bourgeois et petit bourgeois. Mais Horace aime Lise et entend bien lui rester fidèle. Ses hésitations ne tiennent pas cependant et, cédant aux suggestions de la famille, décide d'aller voir. Après tout, cela ne l’engage à rien. Lise, la curieuse, qui a donné carte blanche à son époux, le suivra, ne fût-ce que pour apercevoir cette extraordinaire rivale.
Désillusion. La rivale est un peu mûre, très mûre même. Le Diable ne l’a même pas dotée de sa fameuse beauté. Dépit masculin d'Horace, joie malicieuse de Lise. Et voici d’urne autre surprise. La laideronne n'était que la tante de l'Australienne. Enfin apparaît, dans un éclat tapageur, la brûlante, l'incandescente Victoria qui prouvera à Horace surpris, ahuri, désemparé, qu'elle est prête à jouer le rôle de l'amoureuse tout entière attachée à sa proie.
Horace ne paraît pas de taille à accepter, à engager la lutte. L'honneur masculin, l'esprit d'offensive, il n'en a cure, malgré les quelques fougueux élans dont il assure cette magnifique cavale, muselée, sportive, fastueuse, qui n’a pas hésité à faire l’acquisition à son intention d'un château royal. Si Horace n’éprouve qu'indifférence pour la vie de haut luxe qu’il mène contre son gré, d'authentiques resquilleurs, parmi lesquels Justin, son, père, s’y sentent fort à leur aise, réalisent d'honnêtes profits et entraînent les millions de Victoria dans une vertigineuse sarabande.
Lancé à travers cette folie des gens et des choses, Horace n'a de pensée que pour sa Lise. Mais, caractère sans consistance, il cédera aux suggestions, aux injonctions paternelles. Amené, traîné devant le maire, il prononce le fatal oui qui le lie à Victoria. Pour toujours ?
Solution impossible. Et le bonheur dont parle le titre, qu’en faites-vous ? Je ne vous conterai pas grâce à quelles ruses, à quels subterfuges Horace passe sa nuit de noces avec Lise et non avec Victoria, ni comment celle-ci, usant de représailles, trouve en Milo, le jeune maire qui l'a mariée officiellement à Horace, un émule digne, de ses robustes appétits amoureux. Milo sera le cinquième époux de Cette Australienne insatiable. Une feuille de l’état civil des mariages déchirée, et le tour est joué. Quant à Horace, il est pressé de retrouver sa Lise, pour son bonheur, pour leur bonheur.
[Extrait de Comoedia, 22 septembre 1935]