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Il est souvent considéré hors d'Allemagne comme l'homme d'une seule oeuvre, la fameuse "Auberge du Cheval blanc", succès mondial des années 30, une des rares pièces de l'époque qui se joue encore 80 ans plus tard dans les théâtres de province de l'Europe entière.
C'est d'autant plus étonnant que l'oeuvre de Ralph Benatzky est immense (plus de deux mille chansons et plus de cent pièces musicales, plus fort que Scotto !), et d'un style le plus souvent très différent de la fameuse "Auberge" : Benatzky était à l'époque en Allemagne (avec Walter Kollo) le plus ardent défenseur de la comédie musicale "à la française" dans la lignée d'Yvain et Moretti, en réaction contre le style viennois lyrique à l'excès d'un Lehar ou même parfois de ses co-auteurs de "l'Auberge", comme Stolz. Il était souvent l'auteur complet (livret, paroles et musique) de ces spectacles plus personnels.
L'équivoque concernant son oeuvre vient du fait que "l'Auberge" appartient à une série de quatre oeuvres à très grand spectacle qui ont été conçues spécifiquement pour le "Große Schauspielhaus", célèbre salle de 5.000 places dirigée par Max Reinhardt, puis Erik Charrell, quelque part entre les Folies Bergères et Bercy ! "L'Auberge" était la dernière des quatre, elle avait été précédée de "Pour vous" (1925, oeuvre collective), "Casanova" (1928, d'après Strauss) et "Les Trois mousquetaires" (1929).
Sa carrière avait débuté en 1906 avec plusieurs comédies musicales en un acte. Sa première oeuvre de longue haleine porte un titre français : "Cherchez la femme" (1911). Son premier gros succès, "Liebe im Schnee" date de 1916. A partir de là, il ne quittera plus la scène, en Allemagne et en Autriche jusqu'à la seconde guerre mondiale. Il réside en Suisse depuis 1930, mais en 1938, son épouse étant d'origine juive, Benatzky s'expatrie aux Etats Unis. Ne voulant pas se plier aux conditions des studios américains, il n'y connaît pas le succès, à l'inverse de nombre de ses concitoyens (Weill au théâtre, Kaper, Jurmann, Waxman, Heymann au cinéma, qui fondent dès le début du parlant le style musical "hollywoodien"...), sa musique étant en outre sans doute trop marquée par son style européen.
Il aura cependant auparavant composé en 1937 une des plus belles musiques du cinéma allemand pour "Zu neuen Ufern" ("Paramatta, bagne de femmes") avec Zarah Leander (chanteuse suédoise vedette du cinéma nazi) qui comprend entre autres thèmes le célèbre "Yes, Sir", repris par Melina Mercouri dans les années 70.
Curiosité, il écrivit en 1933, comme Romberg et Weill, une pièce en exclusivité pour la France (dans une production d'Alexandre Stavisky), "Deux sous de fleurs". D'un style plus personnel mais moins brillant que "l'Auberge", la pièce pâtit d'un livret médiocre. Après cette pièce, il écrivit, également pour la France, un "Madame est servie" (avec Armont et Gerbidon, les librettistes du "Un soir de réveillon" de Moretti, qui triomphait cette année-là, et Georges Delance), demeuré inédit.
Autre curiosité, fervent francophile, après s'être attaqué aux Trois mousquetaires en 1929, il adapta au cours des années 30 en comédie musicale cinq oeuvres théâtrales françaises, souvent bien choisies (on s'étonne que les compositeurs français n'y aient pas songé avant lui !) : - "Meine Schwester und ich" (1930, six mois avant l'Auberge) d'après "Ma soeur et moi" de Georges Berr et Louis Verneuil, qui ne fut pas plus que ses soeurs montée en France, mais connut en 1933 une version filmée, "Caprice de Princesse", qui fut adaptée par Henri Georges Clouzot et interprétée en version française par Albert Préjean et Marie Bell (avec une musique en grande partie réécrite par Willy Schmidt Gentner), - "Bezauberndes Fräulein !" (1933) d'après "La Petite Chocolatière" de Paul Gavault. Remontée en 2001-2002 dans une version très fidèle à la partition originale, cette reprise a fait un triomphe en Allemagne, - "Das kleine Café" (1934) d'après "Le Petit Café" de Tristan Bernard, presque 50 ans avant la version française de Guy Lafarge, mais 20 ans après la version anglaise d'Ivan Caryll, - "Pariserinnen" (1937) d'après "Parisienne" d'Armont et Gerbidon, qui fit en France l'objet d'un film, mais ce n'était pas une adaptation de la version de Benatzky, - "Majestät privat" (1937) d'après "Le Roi" de Flers et Caillavet.
Benatzky, qui était assez souvent l'auteur de ses textes, reste également connu outre-Rhin pour avoir été durant son exil aux USA l'adaptateur en langue allemande de l'opéra de Gershwin, "Porgy and Bess" (1942).
Entre 1939 et 1950, ses trois dernières pièces ont été créées en Suisse où il s'était finalement expatrié (dont une étonnante adaptation du "Revisor" de Nicolas Gogol).
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