Boulard et ses filles

× Boulard, roi de la Publicité, très millionnaire, ne pense qu’à son industrie. Son ami de collège, le marquis de Castelbon, entiché de noblesse et ruiné au poker, ne veut pas marier son fils à la fille d’un croquant, même riche - une opérette n’est pas forcément à la page - et c’est le point de départ. La fille aînée de Boulard prétend épouser son maître de musique, le jeune compositeur Valentin Duval, auteur d’une Pasiphaé inédite et vouée au néant si Boulard, à coups de publicité "mondiale", ne transforme pas le musicien, même sans talent, en compositeur génial, acclamé dans le monde entier.

Lorsque Valentin revient d’Amérique, écrasé de palmes, acclamé, illustre, il dédaigne Gisèle Boulard - à laquelle il n’avait, d’ailleurs, jamais pensé, mais qui n’en est pas moins éprise de lui : elle est, à son gré, trop au-dessous de son génie et il s’est fiancé, ou presque, à la fille milliardaire d’un roi américain du cuir bouilli.

Boulard, ne pouvant défaire son propre ouvrage et désespérer sa fille, folle de chagrin, imagine, un expédient : il faut que Gisèle devienne l’égale en renommée du nouveau maître. C'est l’affaire de six mois de lancement et d’un large budget de publicité.

Et l’inévitable se produit, dans ce milieu d’illusion, de vanité exaspérée et de réclame : Gisèle, devenue étoile d’opéra et interprète triomphale de Pasiphaé, - le rideau, commandé par quatre cents claqueurs, s’étant relevé un nombre astronomique de fois, - subit le vertige professionnel. Elle se juge très supérieure à Valentin, le traite en croque-notes et c’est elle maintenant, qui refuse de l’épouser. Le mariage de sa sœur et du jeune Castelbon est sur le point de se rompre aussi : le calme des deux fiancés, après la frénésie impatiente et nerveuse des premiers mois, tourne au mariage accompli et alarme Boulard. Il invente alors un dénouement salutaire.

Gisèle, dont la gloire neuve fut son ouvrage, est, par ses soins, outrageusement sifflée. Sa carrière est brisée. Valentin, atteint du même coup, implore son pardon, et les deux couples sont unis enfin selon leurs vœux.

[Extrait du "Figaro", 11 novembre 1929]