Document
A propos de "Pas sur la bouche" (Maurice Yvain,
1925)
La version filmée d'Alain Resnais (2003)
Radio
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Interview d'Alain Resnais, à
l'occasion de la sortie de son film
(France Culture, décembre 2004) |
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Emission Etonnez-moi Benoît,
interview d'Alain Resnais par Benoît Duteurtre
(France Musique, décembre 2004) |
Dossier de presse
Pathé est fier de distribuer
et Arena Films de présenter
un film sonore parlant et chantant
avec Mesdemoiselles
Sabine Azéma
Isabelle Nanty
Audrey Tautou
et Messieurs
Pierre Arditi
Darry Cowl
Jalil Lespert
Daniel Prévost
Lambert Wilson
dans une opérette
d’André Barde et de Maurice Yvain
Pas sur la
bouche
Synopsis
Lors d’un séjour aux États-Unis, Gilberte Valandray a été mariée en
premières noces à un Américain, Eric Thomson. Son mariage a été un échec.
Mais ce mariage n’ayant pas été légalisé par le consul de France, il
n’est, de fait, pas reconnu en France.
Revenue à Paris, Gilberte a épousé Georges Valandray, riche
métallurgiste. Celui-ci, qui croit à la félicité conjugale dès lors que l’on
est le premier mari de sa femme, est soigneusement tenu dans l’ignorance de
l’union avec Eric Thomson. Seule la sœur de Gilberte, Arlette Poumaillac,
toujours célibataire, connaît le secret.
Mais qu’arriverait-il, si par pure coïncidence, Georges Valandray entrait
en relations d’affaires avec cet Eric Thomson et se prenait d’amitié pour
lui ?
À propos de la création de Pas sur la bouche !
André Bourdonneaux, dit André Barde, vint un jour me trouver de la part
de Quinson. Je ne le connaissais que de nom. Plusieurs de ses opérettes, en
collaboration avec le compositeur Charles Cuvillier, avaient eu du succès,
notamment : La Reine joyeuse, Son petit frère et Afgar. (...)
Quinson me le dépêchait, porteur d'un livret de comédie musicale Pas sur
la bouche ! À son habitude, notre directeur touche-à-tout avait "chamboulé"
le scénario que Barde lui avait proposé. Il s'avéra que ses remaniements
étaient heureux ; la pièce me plut d'emblée. J'emmenai mon nouveau
collaborateur à Antibes et nous nous mîmes au travail. Le calendrier des
théâtres Quinson étant rempli pour la saison, il fut décidé que nous serions
représentés aux Nouveautés. Le directeur, Léon-Benoît Deutsch, fils d'un
gros industriel du Nord, que rien, à première vue, ne prédisposait au
théâtre, montra, en l'occurrence, des qualités rares ; il acquiesça à toutes
nos exigences et nous offrit une distribution de haute qualité : Régine
Flory, Jeanne Cheirel et Pierrette Madd. Régine Flory, transfuge du
music-hall et de la revue londonienne, personnifiait à la scène comme à la
ville la femme-chatte. Deux yeux et un corps à faire rêver tout éveillé,
elle était la bête noire de toutes les épouses dont le mari, par devoir
professionnel, gravitait autour d'elle. Artiste complète, elle jouait la
comédie, chantait et dansait avec bonheur. Les vedettes masculines étaient
Koval et Robert Darthez. J'avais entendu, à l'Olympia, un jeune chanteur
marseillais, Berval, interpréter fort intelligemment La Belote ; l'idée me
vint de le lancer dans l'opérette. Je finis par le dénicher à
Challes-les-Eaux où il faisait une cure (Ah ! ces chanteurs !) et lui fit
promettre d'être des nôtres. Et puis, il y eut Pauline Carton qui, dans un
rôle épisodique de concierge, se tailla une part de lion dans la réussite de
l'opérette.
Pour ma part, Léon-Benoît Deutsch m'avait consenti un ensemble de
dix-sept musiciens - ce qui était énorme à l'époque -, alors qu'au départ il
m'en avait proposé cinq, en raison de l'exiguïté de la fosse d'orchestre. Il
sacrifia un rang de fauteuils pour l'agrandir.
Beau geste d'un directeur entreprenant !
Les études de la pièce allèrent bon train. Nous étions tous confiants en
son issue. Quinson, absent aux répétitions, assista du fond d'une loge à
celle qui précède les "couturières". C'est généralement la plus mauvaise ;
les artistes sont fatigués, ils ont hâte d'affronter le public, ils ne se
"donnent" pas. A la fin de la soirée, Quinson, qui s'était jusque-là tenu
coi, fit une sortie théâtrale, claqua la porte et décréta :
- Je ne sens pas le vent du succès.
Après un mois de représentations à bureaux fermés, il répara son erreur
de jugement en téléphonant à Léon-Benoît Deutsch, son coassocié, pour lui
réclamer sa part de bénéfices... La presse fut enthousiaste pour les
artistes, modérée pour le livret, à tort, car, je considère encore
aujourd'hui Pas sur la bouche ! comme premier modèle de la comédie musicale.
Elle se montra ravie de me voir revenir à mes premières amours et notamment
Emile Vuillermoz qui disait :
"... Cette comédie, qui encore une fois ne peut se résumer sans trahison,
a été traitée musicalement par M. Yvain dans un style parfait. Renonçant à
toute ambition déplacée, ce compositeur nous a donné des pages alertes,
claires, bien rythmées, bien prosodiées, accentuées avec goût et orchestrées
finement. Il est inutile de vous parler plus longuement de cette partition
extrêmement réussie, car, à partir de ce soir, vous allez l'entendre dans
tous les petits orchestres de la Capitale." De la part de ce prince de la
critique musicale, l'éloge n'était pas sans valeur.
Extrait de Ma belle opérette de Maurice Yvain
(1962)
avec l'aimable autorisation des Éditions de la Table Ronde.
Maurice Yvain (1891-1965)
Fils d'un trompettiste de l'opéra-comique, Maurice Yvain s'impose dès
l'adolescence comme pianiste, accompagnateur et improvisateur d'exception,
tant dans le répertoire classique qu'au cabaret où il démarre sa carrière.
Maurice Chevalier avec qui il effectue son service militaire pendant la
première guerre mondiale l'initie aux rythmes à la mode, lui présente
Mistinguett et l'introduit dans les milieux du music-hall. En 1920, Maurice
Yvain rencontre Albert Willemetz, le plus talentueux parolier du temps : de
leur collaboration, naissent les plus grands succès de Mistinguett Mon homme
et En douce, créés pour les revues à grand spectacle du Casino de Paris,
puis une première opérette Ta bouche - dont le livret est également signé
par Yves Mirande pour les scènes parlées - créée au Théâtre Daunou en 1922.
Jusqu'à la seconde guerre mondiale, opérettes et comédies musicales se
succèdent au nombre de une ou deux par an, tandis que Maurice Yvain continue
de composer de nombreuses chansons pour les revues ainsi que des musiques de
films (La Belle Equipe, L'Assassin habite au 21...).
André Barde (1874-1945)
André Barde commence sa carrière de librettiste avant la première guerre
mondiale et collabore avec Charles Cuvillier qui compose des opérettes dans
le style des futures comédies musicales de l'entre-deux guerres : Afgar ou
les loisirs andalous (1909) ; Les Muscadins (1910) ; La Reine s'amuse (1912)
; Florabella (1921) ; Nonette (1922) ; Bob et moi (1924).
Maurice Yvain, qui en parle comme "un des derniers poètes décadents de
Montmartre", est séduit par le livret de Pas sur la bouche ! que Barde est
venu lui proposer. L'opérette connaît un succès retentissant et se joue à
guichets fermés pendant presque deux ans.
Pas sur la bouche ! marque le début d'une longue collaboration entre
Maurice Yvain et André Barde, qui se poursuit avec Bouche à bouche (1925),
Un bon garçon (1926), Elle est à vous (1929), Kadubec (1929), Pépé (1930),
Encore 50 centimes (1931), Oh ! Papa (1933), Vacances (1934).
Devenu librettiste de tout premier plan, à l'égal de Mirande ou
Willemetz, il travaille aussi avec Raoul Moretti et Henri Christiné.
Entretien avec Alain Resnais
Comment vous est venue l’idée de porter à l’écran Pas sur la bouche !,
l’opérette d’André Barde et de Maurice Yvain créée en 1925 ?
En juillet 2002, mon producteur Bruno Pesery et moi, nous nous sommes
aperçus qu’il fallait reporter d’au moins un an le tournage d’un film dont
Michel Le Bris avait écrit le scénario. Nous étions confrontés à l’éternel
problème des extérieurs réels, qui imposent de faire coïncider le plan de
travail avec la durée des saisons et la disponibilité des comédiens. Au fil
de la conversation, j’ai évoqué les films ou les pièces que je regrettais de
n’avoir jamais vus, les opérettes des années 20 ou 30 que j’aurais voulu
connaître mais dont même le texte n’avait pas été publié. Trois jours plus
tard, j’avais sur mon bureau les livrets d’une dizaine de ces opérettes que
Bruno Pesery avait retrouvés à la Bibliothèque de l’Arsenal. J’en ai entamé
la lecture. Quand j’en suis arrivé à Pas sur la bouche !, j’ai été frappé
par sa folie, son développement musical de l’absurde. C’est un texte très
écrit, et son jeu avec les mots, avec les sonorités, avec les répétitions de
voyelles m’intriguait. Au téléphone, Bruno Pesery, qui venait lui aussi de
le lire, réagissait de même. J’ai aussitôt appelé Bruno Fontaine, le
compositeur sans lequel déjà je n’aurais pas pu tourner On connaît la
chanson. Pendant un après-midi, il m’a chanté et joué au piano la partition.
J’ai découvert une musique alerte et jubilatoire. Yvain n’est pas un simple
mélodiste, il a une vraie science d’écriture. Il sait manier le contrepoint,
les ruses harmoniques. Il ne nous restait plus qu’à nous mettre au travail.
Avez-vous retouché le texte ?
Comme je le dis en riant, je suis contre les coupes, mais pour les
contractions. J’ai légèrement raccourci certaines chansons. J’en ai
sacrifiées quatre qui me paraissaient ralentir l’action, en tout cas pour le
public de cinéma qui n’a pas droit aux deux entractes. J’ai parfois resserré
le dialogue. Mais je n’ai pas changé un mot. Je ne voulais pas tricher avec
le rythme et les sonorités de cette langue de théâtre. Comme le disait
Cocteau à propos d’une de ses pièces : "La moindre syllabe compte. Un acteur
qui changerait un terme démaillerait le tout." Il y avait une quinzaine
d’expressions tombées en désuétude, mais l’écriture de Barde est tellement
précise que si j’avais remplacé chiner par taquiner ou turlutaine par idée
fixe, le remède aurait été pire que le mal.
Les adresses au spectateur figuraient-elles dans la pièce ?
André Barde en avait écrit beaucoup, mais j’ai triplé ou quadruplé la
dose. J’ai essayé d’établir une connivence joyeuse avec le spectateur.
Tous les comédiens chantent avec leur propre voix.
Mon grand plaisir au théâtre musical, que ce soit à Broadway, Londres ou
Paris, c’est d’avoir en face de moi des acteurs qui chantent, et non des
chanteurs qui jouent. Ce qui m’intéressait, c’était de voir si on pouvait
prendre des acteurs français et n’en doubler aucun. Lambert Wilson est
chanteur professionnel, les autres non. Ils se sont prêtés au jeu avec
gourmandise. Je m’étais dit d’emblée : tant pis si ça n’est pas impeccable
du point de vue du chant, du moment que les voix sont vraies. Je préférais
que ça fasse chien ou chat mal peigné, mais que l’acteur passe lui-même
naturellement du chant à la parole et de la parole au chant.
Toutes ces transitions entre le parlé et le chanté se produisent en
cours de plan.
J’ai été très attentif à ne jamais faire de raccord pour lancer le début
d’une chanson ou revenir au dialogue. On enchaînait toujours, d’où le défi
lancé aux comédiens sur le plateau : ils devaient jouer la scène, veiller à
être synchrones avec eux-mêmes le temps de la chanson, puis, quand celle-ci
se terminait, continuer sans perdre le rythme juste. C’était évidemment
encore plus périlleux dès qu’on entrait dans les trios, quatuors et
quintettes, ou dans le septuor à la fin du deuxième acte.
Le décor, avec ses rouges foncés, ses mauves, ses verts, est beaucoup
plus sombre que ce que l’on voit habituellement sur scène dans les reprises
des opérettes de cette époque.
Je ne cherchais pas le décor rigolo, pimpant, bonbon qui à mon avis tue
souvent la légèreté du texte au lieu de la faire ressortir. Et ces
personnages qui poussent les raisonnements jusqu’à l’absurde, comme
Valandray avec toutes ses théories démentielles, me semblaient virer vers le
fantastique. Nous sommes tout près de Lewis Carroll. En tournant, j’avais
l’impression que c’étaient autant de fantômes qui hantent encore cet hôtel
particulier de Neuilly et refont inlassablement toutes les nuits les mêmes
gestes.
Extrait d’un entretien avec François Thomas
à paraître dans Positif.
Filmographie d’Alain Resnais
2003 |
Pas sur la bouche |
1997 |
On connaît la chanson |
1993 |
Smoking et No smoking |
1991 |
Gershwin
(L'Encyclopédie audiovisuelle) |
1989 |
I want to go home |
1986 |
Mélo |
1984 |
L'Amour à mort |
1983 |
La Vie est un roman |
1980 |
Mon oncle d’Amérique |
1976 |
Providence |
1974 |
Stavisky... |
1968 |
Je t’aime, je t’aime |
1967 |
Loin du Viet-Nam
(film collectif) |
1966 |
La Guerre est finie |
1963 |
Muriel ou le temps d’un retour |
1961 |
L’Année dernière à Marienbad |
1959 |
Hiroshima, mon amour |
1958 |
Le Chant du styrène |
1956 |
Toute la mémoire du monde |
1955 |
Nuit et brouillard |
1953 |
Les Statues meurent aussi
Co-réalisé avec Chris Marker |
1950 |
Guernica
Co-réalisé avec Robert Hessens |
1948 |
Van Gogh |
Entretien avec Bruno Fontaine
Quand Alain Resnais est venu chez moi pour que je lui joue au piano les
numéros chantés de l'opérette de Barde et Yvain, j'ai eu un coup de cœur
pour cette partition. Je connaissais certaines chansons de Maurice Yvain,
mais j'ignorais tout de Pas sur la bouche ! J'ai découvert la richesse
incroyable de ces mélodies. La musique d'Yvain véhicule une énergie peu
commune, qui à mon avis s'est répercutée sur toutes les étapes de la
fabrication du film. Yvain était manifestement un compositeur très averti
des avancées musicales qui se produisaient aux États-Unis, notamment dans le
jazz, et il distillait dans l'opérette française en 1925 des aspects
beaucoup plus rythmiques et syncopés. C'est une musique très abordable, qui
touche immédiatement l'auditeur, mais qui allie la simplicité à un grand
sens du contrepoint. Ce qui m'a frappé aussi, outre la qualité d'écriture
des paroles d'André Barde, c'est qu'aucun des huit personnages principaux
n'est sacrifié.
Le pari était de décider qu'aucun des comédiens ne serait doublé à aucun
moment du film. Une fois la distribution établie, j'ai d'abord eu trois ou
quatre séances de travail avec chacun des comédiens afin d'estimer leurs
capacités vocales. J'étais en terrain de connaissance avec Lambert Wilson :
j'ai fait deux spectacles musicaux avec lui, c'est lui qui m'a présenté à
Resnais lorsque celui-ci cherchait un arrangeur pour On connaît la chanson.
Daniel Prévost a fait du cabaret et même enregistré des disques dans sa
jeunesse, c'est un crooner gouailleur. Les six autres n'avaient jamais
chanté. Certains jouaient d'un instrument ou savaient lire la musique, les
autres non. Peu importe d'où ils venaient, ce qui comptait, c'est qu'au bout
de tant de semaines de cours ils arrivent tous au même point. Mon premier
contact avec chacun d'eux a été très touchant : que ce soit Pierre Arditi et
Sabine Azéma ou Jalil Lespert, Audrey Tautou, Isabelle Nanty et Darry Cowl,
ils se sont tous forgé des carapaces, jurant leurs grands dieux qu'ils ne
sauraient jamais chanter. J'ai essayé de les mettre à l'aise, comme un jeu
autour d'un piano. Mon rôle était de les amener à se libérer. Et très
rapidement le virus du chant s'est manifesté. J'ai assisté à de véritables
éclosions, ils lâchaient leurs dernières réticences les uns après les
autres. J'ai donc dit à Resnais que je pensais pouvoir lui livrer une bande
musicale avec des comédiens qui chantent bien et que nous ne serions pas
ridicules.
J'ai confié alors les comédiens au répétiteur Yann Molénat, qui travaille
à l'Opéra Bastille. Nous ne voulions pas que les voix prennent une couleur
opérette d'époque, mais qu'elles restent les plus naturelles possible. Les
comédiens devaient chanter comme ils parlent, avec une voix chantée proche
de leur voix parlée. Ils ne devaient pas se contenter de chanter des
mélodies avec des mots dessus, mais vraiment incarner des personnages. J'ai
demandé à Yann de les mettre en position d'avoir un plaisir fou à venir au
studio chanter. Ils se sont mis au travail, y compris le chœur des jeunes
filles. Le résultat est étonnant, et en même temps cela se comprend très
bien : Resnais choisit toujours ses comédiens pour leur travail sur les
sonorités, pour leur façon d'articuler les mots et de transmettre des
émotions par la voix.
De mon côté, j'ai commencé à écrire les arrangements et l'orchestration.
Je ne disposais que de la partie chant et piano de l'opérette. Aucune des
orchestrations d'époque n'est disponible. Dans les enregistrements sur
cylindre de 1925, on entend une voix énorme et un gargouillis instrumental
derrière. J'ai dû me livrer à une sorte de recréation, en étant fidèle à
l'esprit de cette musique, mais en la passant à travers mon propre filtre.
Je me suis orienté vers un petit ensemble de quatorze musiciens, un par
pupitre, où pratiquement tous les timbres de l'orchestre seraient
représentés. C'est une musique très énergique, une musique de théâtre, donc
il fallait que ce soit sec. J'ai tenu compte de la tessiture des comédiens
pour établir les tonalités, et sinon j'ai écrit les arrangements comme pour
des chanteurs professionnels. J'aurais pu choisir d'être plus sage
harmoniquement pour faciliter la tâche aux comédiens, mais j'ai préféré les
plonger dans une situation où ils allaient s'étonner eux-mêmes.
Nous avons enregistré les vingt chansons avant le tournage. Dans un
premier temps j'ai enregistré l'orchestre, que je dirigeais moi-même, puis
nous sommes passés aux voix. La production avait loué un étage d'hôtel
particulier où Resnais répétait les chansons avec les comédiens pour
travailler le jeu et la mise en scène. Ensuite, tous les huit ou dix jours,
nous allions en studio pour deux jours d'enregistrement. Les comédiens ont
été d'un enthousiasme communicatif. Il y avait une solidarité, une émulation
formidables. Les six "grands débutants" étaient émouvants : quand ils
enregistraient un passage rapidement et instinctivement, ils n'arrivaient
pas à croire que ce qu'ils venaient de donner était réussi. Et, précisément
parce qu'ils chantaient pour la première fois, ils sortaient parfois des
inflexions étonnantes.
Le résultat est que la troupe s'est soudée bien avant les prises de vues.
Quand elle s'est rassemblée aux studios d'Arpajon pour le tournage, elle
existait en tant que troupe comme cela doit rarement se produire au cinéma.
Et, après s’être familiarisés avec leurs chansons, les comédiens les avaient
totalement intégrées, je dirais physiquement. Cela les a libérés pour leur
jeu et ils n'ont plus eu à se préoccuper des contingences techniques du
chant.
Après le tournage, je me suis attaqué à la musique originale. Resnais
voulait qu'on ne perde pas la musicalité entre les chansons, que le
spectateur soit en attente de la chanson suivante. L'idée, c'était d'avoir
des bribes de musique qui traversent le film en permanence. Ce pouvait être
aussi bien des morceaux un peu développés que de simples ponctuations. Nous
avons décidé très tôt de souligner musicalement les apartés des personnages.
Chez Yvain, l'extrême sophistication des mouvements d'ensemble (quatuor,
quintette, septuor...) n'a rien à envier à certains grands compositeurs
d'opéra. Et le dialogue est écrit pratiquement comme des paroles de chanson,
avec un sens du rythme incroyable. J'ai donc proposé qu'un petit clavecin
accompagne certains apartés comme dans un récitatif de Rossini, qu'il
remplisse des trous, relance, rythme. Parfois j'ai exploité le matériau
thématique d'Yvain dans la musique originale, en le transformant, le
triturant. Cela permettait de donner des indices musicaux, avec des petites
citations même très courtes, des lambeaux. Mais je ne dévoilais jamais le
thème des chansons à venir, je ne reprenais une mélodie qu'une fois que les
personnages l'avaient chantée. Pour d'autres passages, Resnais m'a demandé
d'écrire de la "musique de film", par exemple pour dramatiser l'arrivée de
Thomson (Lambert Wilson) chez les Valandray et la crise d'angoisse de
Gilberte (Sabine Azéma) qui se demande comment elle va se sortir de la
confrontation de ses deux maris. Je me suis autorisé quelquefois des
incursions plus dissonantes, dans ce que j'appellerais le "ton Resnais". Et,
comme Resnais voulait styliser au maximum les bruits, j'ai travaillé en
collaboration étroite avec Gérard Hardy, le monteur son. Nous nous sommes
réparti les tâches : certains bruitages sont de lui, d'autres sont des
bruitages musicaux (un wood-block pour telle tape sur le dos de Faradel que
l'on "déhoquète"), ou bien nous avons mêlé les deux. Chaque fois qu'on
allume un projecteur sur la scène du spectacle mexicain par exemple, c'est
un pizzicato de cordes prolongé par un grésillement électrique. Et quand
Faradel et Gilberte glissent sur le parquet avec cet étonnant jeu de jambes,
j'ai souligné leur ballet avec des frottements de baguettes sur des cymbales
: là, Daniel Prévost et Sabine Azéma, c'est vraiment Fred et Adele Astaire.
Extrait d'un entretien avec François Thomas
à paraître dans Positif.
Pas sur la bouche ! : une comédie musicale "à
la parisienne"
L'opérette 1900 était sentimentale, un brin patriotique et souvent
désuète dans ses intrigues bourgeoises ou campagnardes. Malgré le talent de
Franz Lehar ou d'André Messager, elle conserve ce parfum vieillot qui la
rend difficile pour le public d'aujourd'hui. Après la première guerre
mondiale, une jeune génération d'écrivains et de compositeurs décide d'en
finir avec cette opérette conventionnelle pour créer un style tout
différent. Leur but : retrouver la fraîcheur insolente d'Offenbach et des
premiers maîtres du genre. Ce sera la comédie musicale "à la parisienne" -
un théâtre décapant, extravagant, inconvenant, qui se moque de la société et
des grands sentiments, sur rythmes de fox-trot et de tango.
La mode est lancée par le tandem Henri Christiné, Albert Willemetz dans
Phi-Phi, création prévue le 11 novembre 1918 et "reportée pour cause de
victoire". Mais c'est Maurice Yvain qui sera le grand musicien de cet esprit
nouveau parce qu'il possède le métier, l'exigence musicale qui manque à ses
concurrents et qui fait dire à Arthur Honegger, spectateur assidu des
Bouffes Parisiens : "Un finale d'Yvain, c'est ficelé comme un finale de
Haydn. Ce petit musicien est un maître".
La comédie musicale à la parisienne n'a pas grand chose de commun avec la
comédie musicale américaine, découverte par les Français durant la même
décennie. Il ne s'agit pas d'un "grand spectacle" mais plutôt d'une comédie
légère, d'un théâtre de boulevard, plein de tromperies et de quiproquos -
dont les protagonistes semblent pressés de se donner du plaisir, de se
tromper et de coucher les uns avec les autres, tout en sauvant les
apparences d'une bourgeoisie convenable.
L'action se déroule dans des appartements art-déco, sur des cours de
tennis, dans des stations balnéaires, et autres lieux favoris d'une jeunesse
un peu cynique, pressée d'oublier la boucherie de 14-18. Les textes sont
souvent signés Willemetz ou Guitry et d'excellents auteurs de théâtre plus
oubliés comme Yves Mirande ou André Barde.
L'intrigue est ponctuée de chansons efficaces et relativement faciles à
chanter. Ce genre d'opérette n'est pas conçue pour des voix lyriques, mais
plutôt pour les vedettes de music-hall : Dranem, Mistinguett, Chevalier,
Raimu, Koval ou Pauline Carton, créatrice du rôle de la concierge dans Pas
sur la bouche !... Maurice Yvain, toutefois, met la barre musicale plus
haut, lorsqu'il compose d'époustouflants ensembles à quatre, cinq ou six
voix, véritables conversations en musique. Création très parisienne, la
comédie musicale qui fait fureur sur les boulevards entre 1920 et 1940, n'en
présente pas moins certains points communs avec les spectacles présentés à
Broadway à la même époque. Les compositeurs se fréquentent : Maurice Yvain
accueille à Paris George Gershwin ou Richard Rodgers. Il rivalise avec le
premier dans l'improvisation au piano. Si l'opérette classique privilégiait
le trois temps des valses, la comédie musicale des années folles recourt
plus volontiers au deux temps du rag-time et du fox-trot, rythmes en vogue
auxquels Yvain cherche à mêler "un peu du parfum de Paris". Lui-même
connaîtra les honneurs de l'Amérique, avec l'adaptation new-yorkaise d'une
de ses œuvres : Un bon garçon, rebaptisée Luckee Girl. La fascination
américaine se manifeste également par le grand nombre de protagonistes
américains dans les livrets (le rôle de Thomson dans Pas sur la bouche !,
entre autres), qui n'a d'équivalent que l'abondance de références
parisiennes dans la comédie musicale américaine.
Dernier grand maître de l'opérette française, Maurice Yvain reste
injustement oublié, alors même qu'on fredonne toujours ses chansons. Les
rares reprises de ses pièces enthousiasment un public souvent très jeune (Là
Haut, aux Célestins de Lyon en 1996-1997), et son nom reste indissociable du
style qu'il a créé : cette comédie légère, frénétiquement rythmée, pleine de
jeux de mots et d'immoralité, au cœur d'une époque qui fut celle du
music-hall, de Dada, de Cocteau, du groupe des six et de la peinture
moderne. Pas sur la bouche ! reste l'archétype de la comédie musicale à la
parisienne, avec sa distribution réduite, ses petites scènes de théâtre, ses
héros qui ne songent qu'à s'embrasser, ses chansons swing ("Je me suis
laissé embouteiller"), ses couplets grivois ("Par le trou de la serrure") et
ses finales haletants (le sextuor du "Quai Malaquais"). En redécouvrant ce
moment de l'histoire du spectacle musical, on s'avise que l'opérette n'est
pas là pour flatter nos habitudes, mais qu'elle peut nous surprendre, jouer
avec les situations, les rythmes et le langage. Elle nous rappelle que
l'esprit artistique du XXe siècle ne s'est pas fait seulement de drames
sombres, mais aussi de fantaisie et de loufoquerie.
Benoît Duteurtre,
auteur de L’Opérette en France (Éditions du Seuil)
Distribution
Gilberte Valandray |
Sabine Azéma |
Arlette Poumaillac |
Isabelle Nanty |
Huguette Verberie |
Audrey Tautou |
Georges Valandray |
Pierre Arditi |
Madame Foin |
Darry Cowl |
Charley |
Jalil Lespert |
Faradel |
Daniel Prévost |
Eric Thomson |
Lambert Wilson |
Les jeunes filles |
Bérangère Allaux
Françoise Gillard (sociétaire de la Comédie Française)
Toinette Laquière
Gwenaëlle Simon
Juliette Nina Weissenberg |
Liste technique
Pas sur la bouche !
une opérette d'André Barde et de Maurice Yvain
créée le 17 février 1925 au Théâtre des Nouveautés à Paris
©Éditions Salabert/BMG Music Publishing France
Mise en scène |
Alain Resnais |
Orchestrations originales
et musique additionnelle |
Bruno Fontaine |
Image |
Renato Berta |
Décors |
Jacques Saulnier |
Ensemblière |
Solange Zeitoun |
Costumes |
Jackie Budin |
Montage |
Hervé de Luze |
Son |
Jean-Marie Blondel
Gérard Hardy
Gérard Lamps |
Assistant mise en scène |
Laurent Herbiet |
Scripte |
Sylvette Baudrot |
Directeur de production |
Pascal Ralite |
Productrice associée |
Ruth Waldburger |
Producteur |
Bruno Pesery |
35 mm couleur - format 1,85 - son dolby SRD et DTS
une coproduction franco-suisse
Arena Films, France 2 Cinéma, France 3 Cinéma, Arcade, Vega Film
avec la participation de Canal +, Cinecinema, de La Télévision Suisse
Romande (TSR) et du Fonds d'Action Sacem
avec la soutien de la Région Île-de-France et de L'Office Fédéral de la
Culture du Département Fédéral de l'Intérieur (Berne)
ce film a été soutenu par Eurimages
musique originale du film disponible chez
Naïve
Création du dossier de presse : Floc’h
SORTIE LE 3 DÉCEMBRE 2003 Durée : 1h55
www.passurlabouche-lefilm.com
Document non contractuel.
DISTRIBUTION :
Pathé Distribution
10, rue Lincoln
75008 Paris
Tél. 01 40 76 91 00
Fax 01 45 63 35 74 |
PRESSE :
Moteur !
Dominique Segall - Laurent Renard
14, rue de Marignan
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