Avant la guerre, Maurice YVAIN arrêta sa
production d'opérettes et de comédies musicales en 1935 avec "Au soleil du
Mexique", qui détonnait un peu sur sa manière habituelle.
Il n'écrivit plus par la suite que trois pièces musicales
: "Son Excellence" (Variétés, 1942), une œuvre totalement oubliée comme la
plupart de celles créées à cette époque, puis un triomphe dans le genre classique "Chanson
gitane" (1946, Gaité Lyrique) et 12 ans plus tard son chant du cygne, "Le Corsaire
noir" (1958, Opéra de Marseille).
En revanche, il écrivit durant la guerre
plusieurs musiques de films (dont les partitions seront
largement réutilisées dans "Blanche Neige", voir infra) et dans les années 50 des mélodies
néo-classiques dont certaines furent créées aux fameux Concerts Colonne.
C'est donc un compositeur "rangé" et très bien
placé dans l'establishment musical de l'époque (il avait aussi de nombreuses
responsabilités officielles au sein de la SACEM, de la SACD et de la
Radiodiffusion nationale, au titre desquelles il gagna le triste privilège
d'avoir censuré beaucoup de chansons "non conformistes", et le surnom de
"Père La Pudeur" de la part de Léo Ferré) qui fut sollicité en 1950
par Serge Lifar pour
composer un ballet-féérie pour l'Opéra de Paris.
Le ballet fut créé le mercredi 14 novembre 1951
sur la scène de
l'Opéra, avec dans les principaux rôles Liane Daydé (Blanche-Neige), Nina Vyroubova (la
Reine), Claude Bessy (La Libellule), Josette Clavier (La Luciole), Jacqueline Rayet (La Fée),
Serge Lifar (Le Chasseur), Max Bozzoni (L'Homme de la forêt), Jean-Paul Andréani (Le Prince).
Ce ballet fut un échec personnel pour le
compositeur mais aussi pour le chorégraphe Serge Lifar et la danseuse Liane
Daydé qui eurent du mal à s'en remettre. Outre le fait que les
"spécialistes" déniaient d'avance à Maurice Yvain les qualités nécessaires
pour se produire dans un lieu aussi chargé d'histoire *, c'était l'occasion de
règlements de comptes
personnels à l'intérieur de la troupe de l'Opéra, et "Blanche Neige" fut
aussi la
victime de son ampleur : 2h de musique, 2h45 avec les entractes, ce fut le plus long ballet jamais représenté
à l'Opéra de Paris
! Les exigences en personnel (92 danseurs sur la scène) et en scénographie firent qu'il fut rapidement
représenté dans une forme amputée (de 3 actes il fut réduit à deux actes)
puis plus représenté du tout. Il y avait eu au total 23 représentations.
Dans ses mémoires, en 1962, Maurice YVAIN ne
désespérait pas que le matériel fût un jour exhumé des archives de l'Opéra.
* (ils sévissent
encore aujourd'hui, l'encyclopédie Universalis sous les plumes de Sylvie
Février et Marie-Françoise Christout ont quelques phrases assassines à son
sujet ! Voir l'article
Lifar qui qualifie Blanche-Neige de "médiocre partition",
vraisemblablement sans la connaître).
Dans la
presse
Sous la plume d'Emile
Vuillermoz, Paris-Presse l'Intransigeant publia deux articles
critiques qui, s'ils reconnaissaient quelques défauts à l'oeuvre,
dont surtout son excessive longueur, étaient plutôt laudateurs
envers Maurice Yvain
>> Blanche-Neige assurera le triomphe de la
danse, par Serge Lifar (Paris-Presse l'Intransigeant, 15.11.1951)
>> Blanche-Neige
a reçu un accueil assez froid et on a hué le compositeur Maurice
Yvain / La mignonne Blanche-Neige a grandi un peu trop vite,
par Emile Vuillermoz (Paris-Presse l'Intransigeant, 16.11.1951)
>>
Madeleine Lafon gagna en quelques heures ses galons d'étoile en
remplaçant Liane Daydé dans "Blanche-Neige", par Emile Vuillermoz (Paris-Presse l'Intransigeant, 14.12.1951)
Enregistrement intégral
J'ignore si le matériel d'orchestre existe
toujours ou s'il a été pilonné, mais j'ai eu la chance rare de mettre la
main sur une partition éditée par l'Opéra, apparemment pour les
pianistes répétiteurs. On y voit en particulier, marquées au crayon bleu et
rouge, les coupures effectuées lors de la réduction de l'ouvrage.
A titre de document, j'ai enregistré
l'intégralité de l'œuvre, avant coupures.
Au-delà des contraintes stylistiques du ballet
et du lieu où il fut représenté, on y retrouve un Maurice YVAIN de soixante
ans au meilleur de son inspiration mélodique et orchestrale, en particulier
au 3e tableau du 1er acte.
>>
Ecouter l'enregistrement
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Documents
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Extrait de "Ma belle opérette", souvenirs de Maurice Yvain (La Table
ronde, 1962), pages consacrées à "Blanche Neige" |
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Programme original
de l'Opéra de Paris,
17 novembre 1951
(2e représentation) |
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Recyclage
Je me suis aperçu récemment que
de nombreux thèmes musicaux développés par Maurice Yvain dans Blanche Neige
lui avaient déjà servi 10 ans auparavant, saupoudrés dans plusieurs musiques
de film : dans "L'Assassin habite au 21" (Clouzot, 1942, scène du fakir),
dans "La Fausse maîtresse" (Cayatte, 1942, un peu partout) dans "Le Duel"
(Fresnay, 1941, générique)... L'inventaire reste à faire, nombre de films
mis en musique par Yvain à cette époque ayant disparu !
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