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C'est un couvent placé dans une île de L'Océan Pacifique, où l’on parle la langue française. L’arrière grand-père du trisaïeul du bisaïeul de la grand-mère d’une des héroïnes, naufragé sur la côte de l’île, réussit à se faire aimer d’une autochtone et à lui imposer sa langue, si j’ose dire, et cette langue se transmit de père en fille. Les élèves du couvent portent respectivement les noms de Fleur de Chrysanthème, Pois de Senteur, Fleur de Banane, Fleur de Lys, Fleur de Lyane, Fleur d'Amandier, Fleur de Pêcher, Fleur de Lotus et leur Supérieure est appelée Fleur de Citrouille. Ces gamines charmantes ignorent tout de l’amour et n’ont jamais vu le loup, n’ayant jamais vu l’homme ; Fleur de Citrouille elle-même est vierge, nous dit-elle, et nous voulons bien la croire.
Le Grand-Prêtre, Fleur de Salsifis, vient inspecter le couvent et choisir deux des élèves pour la couche royale ; il désigne Fleur de Pêcher et Fleur de Banane, immédiatement déçues, car le roi est vieux et laid. Or, à l’heure du bain des élèves, un grand oiseau inconnu descend du ciel sur la plage et deux anges s’en échappent, - deux anges, car un des prophètes de la religion lunaire, pratiquée dans notre île, a annoncé que certain jour deux anges envoyés du ciel viendraient offrir aux insulaires les joies annexées à l’amour.
Nos deux anges sont beaucoup plus simplement des aviateurs en mal de panne, le galant Alcindor et son mécano Bébert, parigot à très gros bec. Nul doute, ce sont les envoyés du paradis, c’est ce que croient tous nos lunatiques, y compris le sévère Grand-Prêtre, Fleur de Salsifis. Tout naturellement, Alcindor et Bébert s'éprennent de Fleur de Pêcher et de Fleur de Banane ; pour se débarrasser de la surveillance du Grand-Prêtre et de la Supérieure, le facétieux Bébert, qui s’est livré autrefois à la science du magnétisme, suggère aux deux phénomènes de se livrer aux félicités de l’amour. Fleur de Salsifis, retrouvant une puissance momentanée, initie en coulisse la virginale Fleur de Citrouille, dont la faim est grande.
Mais le soupçon envahit l'âme du Grand-Prêtre ; persuadé peu à peu que les deux anges ne sont que des hommes, il les fait capturer et les condamne, en attendant la mort, au supplice de la cangue. Les supplications de Fleur de Citrouille et de ses élèves ne peuvent attendrir le cruel. Tout ce que peut faire la Supérieure, c’est de prendre à son vieil amant la clef des cangues ; nos aviateurs sont momentanément délivrés. Alcindor, consultant son calendrier d’aviateur, voit qu’une éclipse totale de la lune aura lieu dans la soirée ; renouvelant la supercherie du plus grand des navigateurs, il annonce au Grand-Prêtre que la lune en colère disparaîtra dans le ciel, s’il ne libère pas les prisonniers. L’éclipse a lieu, le lunatique s’incline devant la décision de la déesse Lune, et nos aviateurs, ayant fait leur plein d’essence et réparé leur moteur, quittent l’île enchanteresse, emportant sur leur appareil les langoureuses et passionnées Fleur de Banane et Fleur de Pêcher.
[Extrait de "Comoedia", 26 avril 1922]