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Le programme original contient hélas deux pages complètement blanches là où aurait du se trouver l'analyse de la pièce ! Heureusement, Comoedia publia une analyse fort détaillée :
Dans une boîte de Montparnasse, dont les clients oublient régulièrement de payer leurs repas, ou laissent au patron des tableaux cubistes en guise de billets de banque, une jeune fille — Bijoute — attend le jeune sculpteur René Bouchard. Il est joli garçon, il est « à la page » : quand il sculpte un corps de femme, il remplace les jambes par des tuyaux de poêle et les seins par des roulements à billes. Il a donc du génie. Par exemple, on se demande comment, avec une telle conception de l’académie féminine, il peut encore désirer une jolie fille.
Il est vrai qu’il s’intéresse beaucoup plus au linge qu’à la chair, au contenant qu’au contenu. Que lui importe l’ivresse pourvu qu’il ait le flacon et que celui-ci soit joli et bien présenté !
Or, le flacon de ses rêves, ce n’est pas Bijoute — charmante, intelligente, mais simplement vêtue — c'est Raymonde, délicieuse petite dinde que l’industriel Scravougnat couvre de fourrures, de robes, de dentelles, de diamants et de perles... à faire pâlir celles qui lui sortent de la bouche.
Malgré la complicité de Ferdinand, « bohème » de ses amis, Bijoute ne peut empêcher que René Bouchard et Raymonde ne se rencontrent. Raymonde voudrait que le jeune homme passât toute la journée avec elle, mais René, subitement embarrassé, lui raconte qu’il ne peut l’accompagner : il est obligé de passer la journée au Musée du Louvre.
Bijoute et Raymonde flairent un mensonge. Elles se rendent au Louvre où René Bouchard, pour équilibrer son maigre budget, fait le cicerone pour l’agence Cook et montre les tableaux aux visiteurs étrangers. Ferdinand, qui vient au musée non pour les toiles de maîtres mais pour la bouche de chaleur, accepte de remplacer le gardien-chef Ernest, afin que celui-ci puisse courir chez sa petite amie. Les quatre personnages, auxquels s’est joint un Américain démuni d’argent — tout arrive ! — décident de passer la nuit au Louvre et d’y festoyer de saucisson, de gruyère et de vin blanc.
Dans la nuit, les tableaux, pendant le sommeil de nos héros, semblent s’animer. Cauchemar ou réalité ? Les danseuses de Degas, Mme Récamier, le fifre de Manet, la baigneuse d’Ingres, la jeune fille de Le Nain, la négresse de l’Olympia de Manet, s’amusent comme de petits fous ou se livrent aux pires débauches. Mais voici que d’une toile est descendue Bijoute telle que l’a peinte en 1932 René Bouchard, aujourd’hui membre de l’Institut et grand’croix de la Légion d’honneur. Ils se sont aimés ; elle l’a inspiré ; elle lui a donné du talent en lui rendant le goût de la femme normale. Quant à Raymonde, elle s’est réveillée, le matin qui a suivi cette fameuse nuit, dans les bras du jeune Américain qui lui a avoué que sa pauvreté n’était qu’une comédie et qu’il était riche à milliards de dollars. Nous nous disions bien qu’un Américain pauvre, c’était un peu invraisemblable.
[Extrait de "Comoedia", 15 octobre 1928]