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Ce soir, après la distribution des prix, Sylvette et son amie Jocelyne de Prégalant quitteront la maison de la Légion d’honneurs, où elles furent élevées. Une aimable liberté règne dans cet asile, où pénètrent la rumeur du siècle et les amoureux de ces demoiselles. Cela grâce à la complicité du jardinier, ex-acteur endetté qui a troqué le chariot de Thespis pour la brouette du couvent. Allez-donc vous fier à ces saintes nitouches ! Cette Jocelyne, si douce et si modeste, reçoit chaque semaine le vicomte de la Gourmette : il saute le mur sous nos yeux.
Sylvette, la hardie Sylvette, n’a point de prétendant ; sur les conseils de Ducantal, acteur-jardinier, elle entrera au théâtre. Comme elle a tort de se préoccuper de son avenir ! L’Amour ne l’a pas oubliée. Le ciel fait choir dans le parc la montgolfière du célèbre financier Octave de Pontaubert ; une nacelle en vannerie et un jeune homme en pantalon à carreaux s’abattent aux pieds de Sylvette éberluée. Le loup est dans la bergerie. Tout s’achète, voilà la devise du jeune viveur ; tout, sauf le cœur des jeunes filles romanesques. Sylvette n’aime pas l’argent : elle repousse les avances de cet homme affligé de trop d’écus. Si bien que c’est la main de Jocelyne qu’il sollicite. La pauvrette est perdue. Sa mère, venue pour la fête des prix, a déjà éconduit tour à l’heure cet amoureux transi de La Gourmette, sans argent ni aplomb. Mais Mme de Prégalant, elle, ne dédaigne point la fortune. Voyez-la se pavaner dans sa riche robe de taffetas changeant à collet ponceau, suivie de son sigisbée le général. N’est-elle pas faite pour avoir un gendre financier ?
Voici donc la partie engagée. D’un côté, deux timides bien faits pour s’entendre ; de l’autre, une délurée qui ne veut pas s’avouer à elle-même son secret penchant pour un partenaire désinvolte. Si cela allait de soi, il n’y aurait pas de pièce. Il fallait donc que Pontaubert s’éprenne de la candeur de Jocelyne. Donc, au deuxième acte, on célèbre leurs fiançailles. Derrière ce quatuor de premier plan les auteurs ont eu soin de placer un trio comique, celui de Mme de Prégalant, qui promène son soupirant et qui retrouve en Ducantal le complice d’une bonne fortune. Au temps de leur folle jeunesse, Colombe de Prégalant trébucha dans les bras d’Alcindor. Evidemment, ils ont changé, elle porte perruque et lui épanouit un sympathique petit bedon dans son beau pantalon à pont. N’importe, ils se reconnaissent et ils évoquent le passé dans un duo comique et tumultueux : Toc, toc, toc, ah ! quel choc !
[Extrait de "Comoedia", 20 février 1932]